Analyse. Pourquoi l'Iran a attaqué Israël ?

Par  Jean-Michel Demetz

Publié le 16/04/2024 à 11h12
Mise à jour le 16/04/2024 à 11h12

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© IDF/GPO/SIPA

Le Dôme de fer, système israélien de défense aérienne mobile, a rempli sa mission de bouclier.

Un nouvel épisode d’une lutte à mort entre deux régimes inconciliables s’est joué la semaine dernière. Au risque d’embraser tout le Moyen-Orient.

C'est la chronique d'une guerre annoncée depuis près d'un demi-siècle déjà. Avec la fuite du Shah et l'arrivée triomphale à l'aéroport de Téhéran de l'ayatollah Rouhollah Khomeini, le 1er février 1979, la République islamique a forgé, dès son avènement, sa légitimité dans la détestation d'Israël, "le petit Satan", supplétif honni des États-Unis. À l'inverse, le régime impérial abattu par les mollahs était le principal allié de Tel-Aviv dans la région, en lui fournissant du pétrole, en s'engageant dans une pleine coopération militaire et s'échangeant des renseignements. Il aura fallu attendre cinq décennies pour que cette haine débouche sur une guerre ouverte entre deux pays, qui ne partagent pas de frontières communes, éloignés de près de 2 000 km.

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© AFP

Un ciel d'acier et de feu au-dessus de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, dans la nuit du 13 avril: l'Iran a lancé plus d'une centaine de missiles sur Israël. Le Dôme de fer, système israélien de défense aérienne mobile, a rempli sa mission de bouclier.

Une nuit d’angoisse

Dans la soirée du 13 avril, à 23 heures, heure locale, le porte-parole de Tsahal annonce avoir détecté "un véhicule aérien non piloté par un homme", en fait des essaims de drones, en provenance d'Iran. Signe des temps, c'est sur le réseau social X (ex-Twitter) que le communiqué tombe. L'information est vite confirmée par la télévision iranienne. "Le régime sioniste diabolique, qui n'est que diablerie, mal, erreur, sera puni", avait promis, trois jours plus tôt, à l'occasion de l'Aïd el-Fitr, la fête marquant la fin du jeûne du Ramadan, le guide suprême de la Révolution, l'ayatollah Ali Khamenei. Le régime de Téhéran veut obtenir vengeance après la frappe israélienne non revendiquée qui a tué, le 1er avril, au sein du consulat à Damas (Syrie) le général Zahedi de la force Al-Qods, l'unité des Gardiens de la révolution, les prétoriens du régime, chargée des actions militaires extérieures, en l'occurrence des livraisons d'armes au Hezbollah chiite libanais et au Hamas à Gaza. à établir. Quelques heures plus tôt, par précaution, les autorités ont annoncé la fermeture des écoles pour les jours suivants et interdit tout rassemblement important. À la télévision, les mesures de protection civile sont rappelées. Le haut-commandement demande aux habitants de Dimona, où se trouve une centrale nucléaire, de gagner les abris.

Alors que la nuit du 13 au 14 avril s'avance, commence une longue et angoissante attente pour la population israélienne. L'ampleur de l'attaque reste à établir. Quelques heures plus tôt, par précaution, les autorités ont annoncé la fermeture des écoles pour les jours suivants et interdit tout rassemblement important. À la télévision, les mesures de protection civile sont rappelées. Le haut-commandement demande aux habitants de Dimona, où se trouve une centrale nucléaire, de gagner les abris. Au cœur de la nuit, les sirènes d'alarme trouent le silence de l'obscurité dans les grandes villes. À Jérusalem, l'interception de missiles au-dessus du dôme du Rocher, lieu saint de l'islam, illumine la pénombre.

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© IDF/GPO/SIPA

Les avions de combat israéliens ont été mobilisés dans la nuit du 13 avril pour protéger le pays.

Un avertissement spectaculaire

Au matin, le bilan de l'attaque iranienne est limité. Des dégâts "mineurs" sur la base de Nevatim dans le sud, une petite fille blessée par un éclat. La chasse israélienne, assistée par les forces américaines dans la région, des avions britanniques qui ont décollé d'une base de la Royal Air Force, à Chypre, l'armée française depuis ses quartiers en Irak et en Jordanie mais aussi par la défense jordanienne, a aidé à détruire l'intégralité des 170 drones Shahed et la trentaine de missiles de croisière iraniens au-dessus de l'Irak et de la Syrie. Seuls quelques missiles balistiques sur les 120 tirés ont pu entrer dans l'espace aérien de l'État hébreu. Le système mobile de défense antimissile, le "Dôme de fer", avec ses radars de détection et de pistage et ses lanceurs, prouve sa remarquable efficacité. Depuis une dizaine d'années, il a intercepté des milliers de fusées lancées depuis Gaza.

Pourquoi le régime de Téhéran s'est-il lancé dans cette aventure? Certes, le messianisme chiite, au pouvoir en Iran, porte en lui, dès l'origine, le rêve de la destruction de l'État juif. Pour cette théocratie islamique, le projet sur lequel a été fondée "l'entité sioniste", un cocktail de modernité laïque, démocratie, culture de masse occidentale, autonomie de l'individu, incarne une anomalie à éradiquer au cœur de l'espace musulman et l'occupation de Jérusalem, la Ville sainte, un scandale auquel tout bon croyant doit mettre fin. En 2001, le président Hachemi Rafsandjani avait lancé un appel à ce qu'un État musulman détruise Israël par une frappe nucléaire. Quatre ans plus tard, son successeur, Mahmoud Ahmadinejad, lors d'une conférence à Téhéran intitulée "Un monde sans sionisme", déclare qu'"Israël doit être rayé de la carte" en qualifiant l'État hébreu de "stigmate [sur] la face du monde musulman". Pourtant, l'attaque du 13 avril, annoncée en amont, pour spectaculaire qu'elle soit, reste d'un point de vue militaire plus symbolique qu'efficace, plus un avertissement que lourde de destructions. Les alliés de l'"Axe de la résistance" (le Hezbollah au Liban, la rébellion houthiste au Yémen) n'ont lancé qu'un nombre limité de drones.

Jusqu'à présent, l'engagement militaire de l'Iran contre "l'entité sioniste" prenait la forme d'une guerre par procuration en armant et en finançant des milices et groupes terroristes en Irak, au Liban et à Gaza (le Hamas et le Jihad islamique palestinien). Les massacres du 7 octobre, "plus importants pour l'ordre du monde que le 11 septembre 2001", selon la formule de l'islamologue Gilles Kepel, marquent un tournant majeur. "Avec le nouveau paysage stratégique de l'après - 7 octobre, largement créé par l'Iran, Téhéran voit une occasion à saisir dans le chaos, analyse Suzanne Maloney, vice-présidente de la Brookings Institution. La guerre à Gaza a permis de rehausser la stature de son régime, de délégitimer Israël, de saper les intérêts américains et de façonner à son profit l'ordre régional." L'attaque de la semaine dernière s'inscrirait dans cette ambition hégémonique affichée à destination de l'autre grand régional, l'Arabie saoudite tentée par l'ouverture vers l'Occident, et l'oumma, la communauté des croyants. "L'Iran est au sommet de sa puissance", s'est réjoui Ebrahim Raïssi, président de la République islamique. Au passage, l'opération permet de détourner l'opinion publique iranienne des difficultés causées par une situation économique désastreuse (30 % d'inflation, des pénuries, etc.) et facilite le retour de la répression par la police des mœurs contre une jeunesse en révolte.

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© ATTA KENARE / AFP

À Téhéran, devant l'ambassade britannique, des manifestants brandis- sant drapeaux palestinien et iranien protestent contre le soutien de Londres à Israël.

« Déclaration de guerre »

"C'est une déclaration de guerre […] Nous examinons toutes les options", a rétorqué de son côté Isaac Herzog, président de l'État hébreu. "Israël fera payer le prix à l'Iran, le moment propice": par cette formule sibylline, le ministre israélien Benny Gantz révèle les divisions du cabinet de Jérusalem. Dans un environnement régional qui valorise le recours à la force et méprise la mansuétude, l'État juif doit riposter, sauf à perdre sa capacité de dissuasion, essentielle à sa survie. Mais comment? Par une nouvelle opération de guerre clandestine du type de celles qu'il mène depuis des années (assassinats ciblés, cyberattaques, sabotages…) contre l'Iran? Des frappes contre le Hezbollah? Par un bombardement ciblé en Iran mais hasardeux si loin de ses frontières? Ou, comme le souhaitent l'aile la plus radicale du gouvernement et une partie de l'appareil de sécurité, par une frappe massive préemptive destinée à détruire le programme nucléaire iranien? Le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, a bâti sa carrière politique en dénonçant depuis des décennies la menace incarnée par le régime de Téhéran. Fragilisé par des sondages défavorables, il peut penser tenir l'occasion de passer à l'acte.

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© AFP PHOTO / ISRAELI PRIME MINISTER’S OFFICE

Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou (au centre), avec le cabinet de guerre dans la nuit du 13 au 14 avril, à Tel-Aviv.

Éviter l’escalade

Les États-Unis, sans qui aucune campagne aérienne prolongée n'est possible, laisseront-ils faire? En pleine course électorale, Joe Biden a fait savoir qu'il ne désirait pas d'escalade. Si l'Iran était à son tour frappé, il pourrait bloquer le détroit d'Ormuz par lequel transite 20 % du pétrole mondial. Ou parrainer des opérations terroristes contre la flotte américaine basée à Bahreïn, tout proche. Une extension du conflit à l'échelle de la région ferait bondir le cours du pétrole et le prix de l'essence à la pompe. Elle relancerait l'inflation et retarderait la baisse des taux. Pas le scénario optimal à six mois de l'élection américaine. Le club occidental du G7 condamne la frappe iranienne mais appelle à la retenue. À Berlin, la ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, s'est inquiétée d'un Moyen-Orient "au bord du précipice" pendant que le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, prévient: "Personne ne veut voir un nouveau bain de sang." "La France travaille à la désescalade avec ses partenaires", a assuré Emmanuel Macron.

La France au Levant

"Nous avons pris nos responsabilités parce que nous sommes acteurs de la sécurité régionale", a déclaré Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères, le 14 avril, après la destruction de drones et missiles iraniens par les chasseurs français dans le ciel jordanien. Ces "interceptions", assurées par les forces françaises de l'opération Chammal (600 hommes environ), stationnées en Jordanie et en Irak dans le cadre de la coalition internationale contre l'État islamique montée en 2014, entérinent le rôle de la France comme allié de l'État hébreu. Rémi Barbet.

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