En Côte d'Ivoire, une association aide les cultivateurs et propriétaires d'exploitations de cacao à protéger leurs terres

Muriel Fauriat

Par  Muriel Fauriat

Publié le 14/03/2024 à 12h00
Mise à jour le 04/04/2024 à 12h31

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Menaces sur le cacao
© Gwenn Dubourthoumieu pour Le Pèlerin

Clément N'dri (à g.), exploitant ivoirien baoulé, écabosse les fèves récoltées pour en extraire les graines. Il fait partie des 55 membres de la coopérative agricole de Méagui (Ecam) - sur les 3 061 de la structure -, à s'être engagé dans la culture bio et l'agroforesterie. Ses 2,5 hectares de plantations produisent de bonnes récoltes.

Cet article est paru dans le magazine Le Pèlerin - Abonnez-vous

Au cœur de la « boucle du cacao » de Soubré, une association, soutenue par le CCFD-Terre solidaire, aide à fixer le régime foncier des exploitations. Une mission sensible dans ce pays peuplé de nombreux migrants, premier producteur mondial de « l'or brun ».

"Nous sommes inquiets, il y a des murmures lors des causeries entre jeunes, confie Issiaka Zoungrana, le chef des communautés étrangères du village de Logboayo. Les héritiers des propriétaires disent qu'ils vont reprendre les terres si les cacaoyers sont malades et si les revenus continuent à baisser…", déplore le chef burkinabé. Cette année, en effet, la récolte nationale de cacao a chuté d'un tiers. Devant sa case en boue séchée, sur le sol de latérite rouge, sa femme dépulpe les fèves de cacao alors que d'autres sèchent un peu plus loin sur une toile.

Quelques instants auparavant, de l'autre côté de la route bitumée, dans le quartier autochtone, peuplé de bétés, l'ethnie de cette région, Désiré Youan Bi, responsable local d'une ONG, l'Association de soutien à l'autopromotion sanitaire urbaine (Asapsu), tentait de sensibiliser tous les notables du village, étrangers et autochtones, à la nécessité de mettre par écrit ce qui était de coutume orale : les titres de propriété et les contrats de location - ou d'exploitation -, afin d'éviter tout conflit à venir.

C'est un travail de fourmi, lent et complexe, que réalise cette ONG, soutenue par le CCFD-Terre solidaire, dans le département de Soubré (300 000 habitants), au sein de cette « boucle de cacao » frappée par une maladie qui attaque près d'un tiers des plants : le swollen shoot ou « sida du cacao ».

Dans les 23 villages qui entourent Soubré, 90 % des cultivateurs sont des migrants intérieurs (d'ethnies non locales, comme les Baoulés, les Malinkés…) ou étrangers (burkinabés, maliens), encouragés, depuis cinquante ans, par l'État ivoirien à s'installer dans la région. Ils relevaient jusqu'alors du droit coutumier, oral, qui prévalait. Celui-ci mettait en lien un propriétaire terrien - tuteur, autochtone - et un exploitant - cultivateur, migrant -, ce dernier donnant une part de la récolte à son tuteur.

Si la guerre civile, en 2003, puis 2010 et 2011, a vu s'affronter les communautés, la paix est revenue. Mais le feu couve :alors que les plantations vieillissent, souffrent de l'abus de produits phytosanitaires et de la sécheresse, la tentation est grande pour les nouvelles générations de propriétaires de faire fiait les anciens et de mettre en vente leurs parcelles. Or, de telles décisions risqueraient de chasser, sans compensation, les migrants à qui la loi ivoirienne interdit le droit de propriété.

Menaces sur le cacao
© Gwenn Dubourthoumieu pour Le Pèlerin

Le village de Logboayo, à 8 km au nord de Soubré. Ici, du côté des migrants, comme en face, dans le quartier autochtone, tous souffrent des mauvaises récoltes dues au swollen shoot, une cochenille, qui décime les plantations et réduit les revenus. Aucun traitement n'a été trouvé contre cette maladie. Seule solution : abattre les arbres malades en laissant un couloir de 25 m pour ne pas contaminer les plants sains, et laisser reposer trois ans en jachère.

Menaces sur le cacao
© Gwenn Dubourthoumieu pour Le Pèlerin

Burkinabé né en Côte d'Ivoire, Issiaka Zoungrana, le chef des communautés étrangères de Logboayo, s'est installé dans la région en 1990 avec un contrat oral « planter-partager » : un propriétaire autochtone lui a donné un terrain de brousse pour y cultiver du cacao. Dès la première récolte, le planteur a remis la moitié de sa production à son tuteur.

Menaces sur le cacao
© Gwenn Dubourthoumieu pour Le Pèlerin

Les cabosses de cacao poussent sur les troncs et les branches. Lorsque les cacaoyers sont bien ombragés et bien taillés, ils peuvent en produire des dizaines avec, en général, deux récoltes par an : la grande traite en octobre-novembre et la petite traite en mars-avril.

Menaces sur le cacao
© Gwenn Dubourthoumieu pour Le Pèlerin

Après avoir récolté les cabosses, les cultivateurs les ouvrent pour en sortir les fèves enrobées de pulpe blanche, qu'ils mettent à fermenter six jours dans des feuilles de bananier, selon la manière traditionnelle. Ensuite, les fèves seront séchées sur des toiles ou des claies.

Menaces sur le cacao
© Gwenn Dubourthoumieu pour Le Pèlerin

Désiré Youan Bi (au premier plan), responsable de l'ONG Asapsu à Soubré sensibilise la population de Logboayo à la nécessité de transcrire les contrats oraux pour garantir les droits des propriétaires comme des exploitants.

L'exigence de traçabilité

De l'autre côté de la route, dans le quartier autochtone, les jeunes propriétaires bétés ne semblent pas tous vouloir renier la parole des anciens. « Je cultive moi-même 2 ha de cacao, sans utiliser de produits phytosanitaires », explique Sepi Koré, chrétien évangélique, qui rayonne d'avoir vendu 85 kg de fèves, la veille, grâce à ses champs indemnes de toute maladie. « Les migrants ont gagné leur plantation, on ne va pas la reprendre, ils iraient où ? » Ce jeune père de deux enfants rêve pourtant d'être chauffeur routier, tandis que Franck, responsable catholique des jeunes du village autochtone, veut monter un élevage de poulets. Ces héritiers résisteront-ils si des entreprises, à vocation agricole, minière ou immobilière, ou l'État lui-même, voulaient acheter des terrains ? Eux, peut-être. Mais ceux qui reviennent des villes ?

L'Asapsu œuvre pour que les accords oraux soient transcrits et reconnaissent le travail de chacun. Un enjeu accentué par un récent changement : depuis décembre dernier, l'Union européenne refuse toute importation issue de la déforestation et exige donc de connaître la traçabilité de produits agricoles. Face à cela, le gouvernement ivoirien a demandé un recensement des terres, créant un nouveau modèle où le droit écrit tend à prévaloir.

Dans le village de Gnakoragui, les contrats ont été signés en 2016 - après trois ans de tractations -, et les parties sont rassérénées. L'ONG y assure désormais le suivi. À l'aide d'une carte, Désiré Youan Bi en profite pour faire prendre conscience des dangers de l'urbanisation galopante. « Pouvez-vous placer les plantations - en vert - et les cases - en orange - sur la carte ? demande-t-il aux habitants réunis. Et que voyez-vous ? » « Il y a moins de vert et plus d'orange », répondent cultivateurs et propriétaires. « L'orange n'est pas bon. les plantations ne sont plus protégées du soleil… », reconnaît l'assemblée. « Et que mangera-t-on quand la dernière culture aura disparu ? » interroge Désiré.

Menaces sur le cacao
© Gwenn Dubourthoumieu pour Le Pèlerin

Le président du tribunal coutumier d'Obrouyao, Séyé Kliwa (à d.), accompagné d'un assesseur, délimite une parcelle de cacaoyers dans le cadre d'un litige lié à un contrat d'exploitation. Dans ce village, les responsables de l'Asapsu ont formé les habitants à régler les différends fonciers.

Menaces sur le cacao
© Gwenn Dubourthoumieu pour Le Pèlerin

Koné Dougnoumani, superviseur de l'Asapsu chargé de la mobilisation communautaire, sensibilise les collégiens d'Opouyo à la nécessité d'une sécurisation juridique des terres : « 90 % des élèves ont des parents cultivateurs, ils ont une influence ! »

Menaces sur le cacao
© Gwenn Dubourthoumieu pour Le Pèlerin

À Gnakoragui, des femmes autochtones ont pu hériter des terres de leur père ou oncle. Viviane Blini (à g.), mère de 4 enfants qu'elle élève seule, tient la « lettre de reconnaissance du droit coutumier » signée par son oncle. Elle possède déjà 4 ha de plantations, dont un de cacaoyers malades sur lequel elle prévoit la construction de lotissements. Clarisse Sakpa Koméné, (au c.) attend le gain des futures récoltes pour financer une opération médicale. Charlotte Beugré Solé (à d.), habitant Abidjan, a choisi de faire surveiller ses plantations d'hévéas par sa famille sur place.

Menaces sur le cacao
© Gwenn Dubourthoumieu pour Le Pèlerin

Afin de définir les priorités, les membres de l'Association des femmes battantes d'Obrouyao débattent sur l'usage de la tontine - cagnotte commune. Issues de plusieurs ethnies et pays, elles se sont associées pour cultiver et commercialiser leurs productions, construire un centre de santé, et alimenter les cantines des écoles alentour.

L'héritage des femmes

À Obrouyao, desservie par une piste de brousse en 4x4, l'Asapsu aide une association de 800 femmes à prendre leur destin en main, via les plantations de cacao, l'agriculture vivrière (riz, gombo…) dans les bas-fonds (terres humides), et leur vente au marché. Car le passage du droit oral au droit écrit a aussi permis une autre avancée : la reconnaissance de droits nouveaux pour les femmes. Certains propriétaires ont ainsi évolué et fini par accepter que leurs filles et nièces héritent des terres, ce que la coutume interdisait.

« Nous fonctionnons en tontine, explique Victorine Ayéchine, la présidente de l'Association des femmes battantes d'Obrouyao. Nous mettons en commun de petites sommes pour aider l'une ou l'autre. » « Nous voulons que la Côte d'Ivoire reste le premier producteur de cacao au monde, assure Clément, qui cultive 2,5 ha en bio. Mais il faut changer les pratiques. » Celles qui ont grignoté la forêt… jusqu'à la faire disparaître comme à Kourabahi, non loin d'Obrouyao et dans 80 % des forêts classées ivoiriennes, au profit de plantations de cacao, mais aussi d'hévéas et de palmiers à huile.

Sous l'impulsion des bailleurs mondiaux, les autorités soutiennent le reboisement, en impliquant les populations. « Nous demandons aux cultivateurs en forêt classée de planter, tous les dix à vingt mètres, des grands arbres indigènes comme l'acajou ou le fraké, qui protègent aussi les cacaoyers de la chaleur », explique Hypoté F. Hewé, chef de l'unité de gestion de la Société de développement des forêts.

À la veille de l'élection présidentielle de 2025, déjà, les ambitions s'aiguisent et les vieux démons nationalistes ressurgissent. Dans ce pays composé de 53 ethnies et de 26 % d'étrangers, le travail de paix des ONG de bonne volonté reste donc plus que jamais nécessaire.

Menaces sur le cacao
© Gwenn Dubourthoumieu pour Le Pèlerin

À Gnakoragui, où propriétaires et exploitants ont signé leurs contrats dès 2016, l'enjeu pour Désiré Youan Bi est aujourd'hui d'alerter la population sur les dangers de l'urbanisation galopante.

Menaces sur le cacao
© Gwenn Dubourthoumieu pour Le Pèlerin

Marié à deux femmes et père de sept enfants, cet Ivoirien plante depuis 2009 du cacao au sein de la forêt classée de Kourabahi où de petits plants d'arbres endogènes lui ont été donnés pour favoriser l'agroforesterie. « J'ai payé ma place à un tuteur bété. Je veux vivre ! L'État doit nous aider. »

Menaces sur le cacao
© Gwenn Dubourthoumieu pour Le Pèlerin

L'Entreprise coopérative des agriculteurs de Méagui (Ecam) créée en 2004, où sont ensachées les fèves de cacao séchées, favorise les bonnes pratiques agricoles, l'agro-foresterie, l'engrais naturel, l'autonomisation des femmes, la protection et la formation des jeunes. Elle a également mis en place 83 associations villageoises d'épargne et de crédit et construit actuellement une école de la seconde chance pour les enfants défavorisés.

cacao

Depuis plus de soixante ans, le CCFD-Terre Solidaire et ses partenaires de par le monde s'engagent contre les inégalités, contre la faim et pour le développement. L'association accompagne plus de 500 acteurs et soutient leurs projets dans plus de 70 pays. Cet engagement prend racine dans l'Évangile et la pensée sociale de l'Église. Tout au long du Carême, l'association appelle à s'engager dans la lutte contre la faim à travers la construction de la paix.

Pour faire un don: ccfd-terresolidaire.org ou par voie postale à CCFD-Terre Solidaire, 4 rue Jean-Lantier, 75001 Paris.

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