Soins palliatifs chez les généralistes : pourquoi ce blocage ?

Pierre Wolf-Mandroux

Par  Pierre Wolf-Mandroux

Publié le 13/04/2024 à 08h01
Mise à jour le 13/04/2024 à 10h01

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Soins palliatifs chez les généralistes : pourquoi ce blocage ?
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Est-ce la faute du manque de moyens ou du manque de culture du soin palliatif des soignants ? Un peu de tout cela.

Le 1er avril 2023, le médecin généraliste Roland Fardel jugeait, dans une tribune au Monde, que l'absence de diffusion de la culture palliative en France était « imputable essentiellement à la résistance des soignants ». Ceux-ci seraient trop tournés vers le curatif, soigner la cause, et pas assez vers le palliatif – soigner les symptômes des douleurs en prenant en compte la souffrance psychique, sociale et spirituelle.

Qu'en pensent les médecins généralistes, eux qui sont en première ligne du soin palliatif? La plupart se révèlent plus nuancés, comme Arnaud Garreau, médecin généraliste de l'Institut de cancérologie de l'Ouest (ICO) d'Angers: « Les deux freins sont le manque de temps et la solitude. Le généraliste travaille souvent 60 heures par semaine. Il a le droit d'avoir une vie, il ne peut pas se déplacer tout le temps à domicile. Et il reste souvent seul dans sa pratique, en tête à tête avec le patient. » Formé aux soins palliatifs et ancien médecin de campagne, Arnaud Garreau sait que le soin palliatif de qualité exige plusieurs soignants. Parce que l'on forge un diagnostic plus fin à plusieurs, parce qu'ils peuvent prendre le relais des uns des autres lorsqu'un soignant faiblit.

Chantal Prat, médecin généraliste à la retraite à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), a été la médecin traitant de familles sur quatre, parfois cinq générations. Les liens aidant, elle en a naturellement suivi beaucoup jusqu'à leur mort: « On ne peut pas les abandonner dans les moments les plus difficiles. » Elle a pu le faire parce qu'un réseau de soins palliatifs avait été mis en place dans sa ville. « Sans lui, je l'aurais fait beaucoup plus mal. Le soin palliatif est l'exemple même du soin qu'on ne peut pas faire seul. » Les soignants la renseignaient sur les effets secondaires de chaque chimiothérapie – toutes n'ont pas les mêmes effets. Certains s'occupaient de la partie administrative, comme la commande de lève-personne ou de pompe à morphine pour les soins à domicile. A-t-elle déjà tiré sur la corde? « Sans doute. Mais le réseau sert aussi à nous déculpabiliser parfois lorsqu'on craint d'avoir mal accompagné la personne, à se soutenir. C'est très intense. »

Vladimir Druel, médecin généraliste à Deyme (Haute-Garonne) et coordinateur en soins palliatifs dans le Gers pendant dix ans, n'a rencontré qu'un seul généraliste réticent aux soins palliatifs. Ce médecin refusait de prescrire de la morphine à un patient parce qu'il estimait que la morphine ne devait être prescrite qu'à un patient en fin de vie. Les soins palliatifs ne sont pourtant pas uniquement réservés aux mourants. « La fin de vie n'est qu'une toute petite partie de la prise en charge des soins palliatifs », rappelle-t-il. L'amalgame existe encore.

L'obstacle principal reste le manque de moyens, pour Vladimir Druel. « J'ai arrêté les soins palliatifs dans le Gers car ma nouvelle direction ne me proposait plus que de la consultation vidéo ou des entretiens téléphoniques. Pour moi, on ne peut pas expliquer la sédation à un patient en larmes par vidéoconférence. Moralement, cela ne se fait pas. Il faut être physiquement présent. » De même, il était inconcevable pour lui qu'une sédation profonde d'un patient ne soit accomplie que par une infirmière à domicile, pendant que le médecin assurait une présence par téléphone, comme il l'a déjà vu. « Il faut être deux, tranche-t-il. C'est une opération lourde. Ce n'est pas rien, d'endormir quelqu'un qui ne se réveillera peut-être plus. Il faut quelqu'un qui surveille la machine et quelqu'un qui rassure la famille. »

Le réseau de soins palliatifs de Saint-Denis évoqué par Chantal Prat s'était monté lors de l'explosion de l'épidémie de sida. Mais le manque de personnel le fragilise. « Cela fait quatre ans qu'on essaye de recruter des médecins pour ce réseau. On n'en trouve pas. L'organisation est cassée par le manque de personnel », regrette Chantal.

Jean-Marie Commer, médecin de l'ICO, relève un autre frein: le soin palliatif à domicile demande plus de vigilance et d'énergie au généraliste qu'à l'hôpital. « Un vieux médecin m'a dit un jour que les patients de ville sont sauvages, ceux de l'hôpital sont domestiques. Car il est plus facile de faire adhérer le patient à un traitement à l'hôpital. Certains, chez eux, finissent par arrêter leur traitement. Ou mentent sur leur prise en charge. Ce qui nous fait faire de faux diagnostics. La personne à domicile a besoin de beaucoup, beaucoup d'accompagnement. » Il concède pourtant que le soin palliatif à domicile est infiniment préférable qu'à l'hôpital. « C'est un cadeau, d'être soigné à domicile. C'est beaucoup plus silencieux qu'un hôpital – les chariots qui passent sur les joints de dilatation des couloirs, ça fait du boucan... C'est aussi plus chaleureux et plus accessible aux proches – il n'y a pas d'horaires de visite. Mais ça nécessite des moyens. »

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